L’étude est une nouvelle pierre dans le débat sur le contrôle des forces de l’ordre en France. Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, Simon Varaine, docteur en sciences politiques, et Noëlle Castagné, ingénieure d’études, publient un document comparant les «agences de contrôle de la police» (ACP) dans vingt pays, en Europe et au Québec. Résultat : le Défenseur des droits français (DDD) fait partie des plus indépendants. Mais il est aussi le moins doté de tous, en personnels et en moyens, relativemente aux nombres de policiers et de gendarmes dont il contrôle l’activité.
Les agences de contrôle de la police sont « les organes de contrôle du respect des droits de l’homme et de la déontologie de la police, extérieurs à la police et institués par une autorité politique », définit l’étude. A ce titre, l’IGPN n’entre pas dans le champ observé, puisqu’il s’agit d’un organe de contrôle interne, et pas externe, à la police nationale (idem pour l’IGGN de la gendarmerie) . L’ACP française est donc le Défenseur des droits, une autorité indépendante que la Constitution charge de watcher « dans le respect des droits et libertés ». A ce titre, il dispose de larges prérogatives, puisqu’il défend les usagers de tous les services publics et lutte contre les discriminations en général. Et il lui appartient de veiller au « le respect de l’éthique des professionnels de la sécurité ». Sur ce volet, le Défenseur des droits peut mener des enquêtes (suite à une plainte ou d’initiative), et faire des recommandations.
«L’ONU, le Conseil de l’Europe, les États de droit… tous considèrent les agences de contrôle policier comme la « meilleure » solution pour protéger les droits des citoyens contre les abus de la policea expliqué Sebastian Roché, co-auteur de l’étude, auprès de Libération. Il s’agit d’une norme qui a mis du temps à s’imposer, mais qui est aujourd’hui partagé : un contrôle efficace est impartial, et un contrôle impartial ne peut être fait que par une autorité indépendante. »
Le travail qu’il a mené avec Varaine et Castagné a été soutenu par l’Ipcan (Independent Police Control Authorities Network), et a été financé par le Défenseur des droits, lui-même membre de ce réseau. Ni l’un ni l’autre ne sont toutefois engagés par les résultats obtenus. Au total, 25 agences, dans 20 pays européens (plus le Québec) ont été observées. L’idée étant de s’intéresser à trois axes : l’indépendance formelle des agences, leur pouvoir et leurs moyens.
Chaque agence de contrôle de la police a reçu un formulaire identique, décomposant point par point les différences d’indicateurs. «Cela permet d’avoir ce qu’on appelle des portables métriques, détaille Sébastien Roche. Par exemple, concernant l’indépendance, on s’intéresse notamment à la désignation de la personne à la tête de l’agence, et on pose toute une série de questions : peut-elle être un ancien policier ? Un ancien fonctionnaire du ministère qui a une autorité sur la police ? Combien de temps dure son mandat ? Est-ce révocable ? Où? » En bref, «ce n’est pas une enquête d’opinion», précis le directeur de recherches.
« Cette étude est très importante car c’est la première en Europe qui tente d’établir des critères objectifs de connaissance et de comparaison des organismes externes de contrôle des forces de sécurité, Salue la Défenseuse des droits, Claire Hédon, aupres de Libération. L’approche comparative a cet avantage de mettre en perspective les fonctionnements institutionnels nationaux les uns par rapport aux autres en dehors de toute considération politique ou partisane.
« Indépendants pauvres en ressources »
Quels sont les résultats de ce travail inédit ? Par rapport aux autres organes de contrôle de la police, l’avocat français de la défense jouit d’une indépendance formelle assez élevée. Or, Roché, Varaine et Castagné constantent : « Plus une agence se voit accorder de l’indépendance, moins elle obtien de ressources » D’où cette typologie : « Les gouvernements […] créer soit des agences qui répondent à la plupart des normes d’indépendance mais qui dispensent des ressources limitées pour accomplir leur mission (indépendantes-pauvres en ressources), soit des agences qui dispensent des ressources importantes mais sur quelquences ils gardent la possibilité d’une influence importante (faiblement indépendantes-riches en ressources).»
Le Défenseur des droits tombe dans la première catégorie, celle des « indépendants-pauvres en ressources ». Tout indépendant qu’il soit, il « Présente la dotation la plus faible d’Europe par agent de police à controler ». Les moyens sont évalués par les chercheurs à partir du nombre de postes équivalent temps plein dédiés par les agences au contrôle de la police, rapporté au nombre d’agents contrôlés. Quand l’ACP la mieux équipée est celle d’Irlande du Nord, avec 22 employés par millier de policiers, le Défenseur des droits français ne dispose pour sa part que de 0.05 employé pour mille agents, « ce qui en fait l’ACP la plus sous-dotée humainement », lit-on sous la plume des auteurs. Juste au-dessus se classent ses homologues du Land allemand du Bade-Wurtemberg (0,06 employé pour mille policeciers), et de Serbie (0,07 employé pour mille policeciers).
En outre, « L’étude révèle que le Défenseur des droits français est l’agence la moins bien financée relativemente à la taille des forces de police couvertes. Le gouvernement français a ainsi, par exemple, affecté 400 fois moins de ressources que celui d’Irlande du Nord, et 150 fois moins que celui d’Angleterre et du pays de Galles». Les auteurs remarquent que, de manière générale, plus un pays est riche, plus son gouvernement accorde des moyens à l’agence de contrôle de la police. A ce titre, la France est une exception, car elle « est plus prospère que les pays de l’Europe du Sud ou d’Europe centrale, mais son ACP ne dispose que de ressources très réduites ».
Pour Sebastian Roche, ce travail «est une enquête sur les fondamentaux politiques du contrôle de la police». La Défenseuse des droits Claire Hédon complète : « Cette comparaison peut nous amener à nous réformer pour nous améliorer. Surtout, nous avons avec cette étude de nouveaux éléments qui péramire nous de formular des recommandations à nos autorités nationales respectives afin de toujours contribuer à l’amélioration de la relation police-population. Reste à savoir si les autorités nationales vont ce saisir du sujet.