C’était un luminaire, un collectionneur de belles lettres. Pourtant, malgré les nombreuses fonctions qu’il a exercées et son allure savante de vieux barbu sage, François Nourssier, décédé il y a un peu plus d’un an, cachait derrière ses épaisses lunettes de nerd de salon, une facétie et un amour joyeux de l’automobile. .
Tour à tour rédacteur en chef, critique pour Le Figaro littéraire, membre du jury Goncourt, lauréat du prix Fémina et de celui de l’Académie française, ce mandarin de St Germain des Prés était un humoriste élégant et un amoureux des mots comme des voitures. Il n’a pas pu s’empêcher de raconter sa vie de chauffeur dans un petit livre paru en 1991. Une vie qui aujourd’hui semble dater d’il y a 100 ans, une vie où l’on pouvait rouler vite, ou on pouvait snober le « les voitures avec des enjoliveurs, ces horreurs », et où tu pourrais écrire que tu dois méfiez-vous des femmes qui ne conduisent pas, elles ont la chair molle ».
Jeunes Américains
Dans son Auto Graphie, paru en 1991 chez Albin Michel et, heureusement, toujours disponible en poche, Nourissier joue autour, hors du temps, et se souvient. Il se souvient de ses années de jeunesse, des premières voitures américaines d’après-guerre, qu’il n’achetait presque rien mais qui consommaient trois fois trop. Beaucoup trop pour l’étudiant fauché qu’il était, qui condamnait ses voitures à rester garées et leur jeune propriétaire à prendre le métro.
Mais le jeune garçon sans le sou se rattrapera et avoue, dans ce livre, avoir acheté une quarantaine de voitures en 20 ans, notant au passage qu’il n’a pas cru bon de mentionner celles qu’il a louées. Et l’homme n’est pas monomaniaque. Ces goûts automobiles variés le mèneront vers les lourdes berlines allemandes mais aussi vers les gracieux cabriolets anglais. Il est en admiration devant les voitures qu’il veut et certaines qu’il possède, mais il se moque aussi. Une de ses bêtes noires est justement noire. C’est une Peugeot 403, la voiture « provinciale, notariale et enracinée par excellence ». Cela ne l’empêchera pas d’en avoir possédé un exemplaire. l’autodérision étant la marque de l’intelligent.
Un livre moqueur qui est aussi un livre sur le bonheur
Certains de ses contemporains automobilistes ne trouvent pas grâce non plus à ses yeux, comme ceux qu’il observe, arrêtés à un feu rouge, et qui « se curent le nez en écoutant à la radio des informations qu’ils ont déjà entendues 10 fois ». Le quidam à l’arrêt n’est pas la seule cible des flèches de l’écrivain qui se moque aussi de ses pairs. Comme l’écrivain Jules Roy, que Nourissier a réussi à rendre terriblement jaloux en lui faisant visiter le propriétaire, et le quartier, dans sa Mercedes neuve et rutilante.
Mais si ce livre se moque de certaines voitures, de leurs propriétaires et des réactions qu’elles suscitent parfois, c’est aussi un livre dédié à l’amour de la route. De celles que l’on emmène à l’aube pour traverser la France, et de celles que l’on tente de suivre, en pleine nuit, aux Etats-Unis, carte routière en main, au volant d’une Pontiac, en découvrant soudain la beauté d’un grand cerf encadré dans les phares. Pour toutes ces histoires, Auto Graphie fait partie de ces livres que tout automobiliste devrait toujours avoir dans sa boîte à gants, comme un carnet d’entretien. Un livre d’entretien de la liberté et de la vie. Un cahier qui a tendance à s’user aujourd’hui.
